Editorial de Éric Gibert, Président de la FFR
RESTONS ZEN
Récemment dans un précédent éditorial, je regrettais nos anciennes habitudes de partages et d'échanges entre générations lors de nos soirées d'EPU avec nos jeunes collègues.
Notre génération a toujours eu le sentiment que la convivialité était un facteur important d'apprentissage et de transmission.
La situation sanitaire induite par la présence du Covid-19 a bouleversé notre avenir professionnel, l’a rendu plus complexe et chacun peut concevoir combien il est difficile aujourd’hui d'en évaluer les futurs contours.
Quelques traits peu réjouissants de ce futur se dessinent :
- les masques obligatoires qui camouflent le visage de nos interlocuteurs réduisent notre compréhension émotionnelle, un vrai problème dans notre pratique médicale ;
- la distanciation physique imposée par les mesures barrières accentue une tendance déjà constatée depuis de longues années : la réduction des gestes invasifs, la mise à distance du contact patient-médecin, des pratiques déjà bien ancrées aux États-Unis ;
- un très probable reformatage des congrès nationaux et internationaux imposés également par l'urgence climatique et pourtant ces échanges informels avaient au moins autant d'importance que le contenu des congrès.
Le repli sur soi que cela pourrait entraîner est, non seulement quasi impossible dans notre monde globalisé, mais surtout, très risqué pour notre avenir. Comme la peste au Moyen-Âge ou lors de la grippe espagnole au début du siècle dernier, face à ces désastres sanitaires, les sociétés ont dû se recomposer avec une population plus réduite, contraintes à devenir créatives pour améliorer leurs conditions de travail.
Paradoxalement si une partie notable de la société remet en question le progrès technique, les avancées scientifiques et les vrais experts, cette pandémie va nous conduire vers davantage de technologie et des besoins accrus en énergie. L’objectif sera de répondre à sa menace, en prévenir d’autres en vue de maintenir une activité économique et sociale nécessaire pour éviter un chômage de masse.
- Le télétravail et la téléconsultation se sont imposés mais nécessiteront, comme les visioconférences, l'utilisation de la 5G à l'encontre des préconisations de nos écologistes récemment élus maires de grandes villes car elles seraient, entre autres, très énergivores. Rappelons tout de même que la Chine se prépare d'ores et déjà à la 6G !
L'apparition probable d'une carte carbone individuelle, objet politique des écologistes, viendra impacter la pratique médicale dans son usage pratique du numérique, comme fournisseur de données mais aussi dans sa formation continue. Interrogeons-nous sur son usage, posons-nous les bonnes questions.
Ne restons pas sur une pensée de surface apparemment indiscutable qui annihile toute projection en profondeur.
Soyons conscients que la carte carbone risque de devenir l’avatar démocratique, du moins au début, du « permis social » chinois. Cette carte carbone pourra utiliser toute la panoplie technologique nécessaire pour limiter l'activité individuelle sur tous ses aspects en lien avec le CO2 et contrôler les récalcitrants.
- La limitation des contacts humains poussera au développement des robots humanoïdes déjà en vogue notamment au Japon et nous constatons d’ailleurs que l'industrie pornographique est largement en tête dans ce domaine ! Beaucoup de robots chirurgicaux, d'analyses génétiques, de créateurs de médicaments, d’aides à la personne vont voir le jour.
- La méfiance sanitaire des transports collectifs va accélérer l’utilisation des transports individuels surtout électriques ou hybrides : il y aura un regain d'usage de ces véhicules sans chauffeur, bus, SAMU, ambulances puis des futurs drones personnels, très énergivores en données à analyser.
Cependant cette pandémie a aussi des aspects positifs !
- Elle a mis en évidence l'importance du rôle des médecins libéraux en 1re ligne et la nécessité de l’humain auprès de l’Autre, faire confiance à leur capacité de se débrouiller à l'écart de structures administratives qui souvent freinent leur enthousiasme.
- Elle a aussi confirmé que si les hôpitaux ont souffert de l'afflux des patients, ce travail collectif fut apprécié par les soignants, soudés autour du soin.
Il faut donc demander à nos autorités et à nos syndicats de ne pas, sous l'égide de dogmes économiques ou administratifs, tuer ce qui a fonctionné : faites confiance aux médecins libéraux et hospitaliers, libérez-les de toutes ces contraintes !
- Elle a permis de faire sortir du bois certains experts et professeurs dont les pensées ont pu se déployer d'une façon très étonnante sur le web et les chaînes d’info Pour tout dire, ils ont alarmé nombre de béotiens en santé sur la capacité de notre métier à parler d'une même voix.
Les réseaux sociaux deviennent la référence et amplifient les propos les plus surprenants, les plus violents, développant toutes les théories complotistes les plus farfelues qui ne sont que le reflet d'une angoisse sociétale.
Écoutons Blanche Gardin dans un de ses sketchs pour le moins cru : « Il faut couper Twitter à 23 heures » les brèves de comptoir plus ou moins alcoolisées au bar du coin cessent avec la fermeture du bar et s'oublient dans les vapeurs d'alcool de la nuit….
Souhaitons que la société à venir se libère de ses carcans administratifs pour une amélioration des conditions de vie de chacun et des conditions de travail de tous. Mobilisons nos intelligences sur de vrais problèmes de fond et permettons à l’industrie du sapin de rester festive !
Éric Gibert
Président de la FFR