LES RHUMATOLOGUES, UN MAILLON INDISPENSABLE DANS LA RELATION VILLE HÔPITAL !
Le nouveau ministre, le Pr Francois Braun, urgentiste de formation, prépare pour début 2023, une nouvelle stratégie pour sauver notre système de santé, il est vrai que dans tous les secteurs ce système est à bout de souffle et si le constat existe, il est temps de trouver d'autres solutions que celles qui ont toujours été appliquées à ce jour, une vision purement comptable n'est plus admissible.
Le nouveau ministre évoque l'indispensable collaboration ville-hôpital comme un mantra plus que nécessaire et ce discours est repris régulièrement, ce qui semble être une réelle volonté.
Des initiatives sont déjà venues du terrain : des généralistes ont proposé d'intervenir dans les services d'urgence hospitalière pour les décharger des patients qui n'ont nul besoin du grand plateau technique. Le ministre souhaite développer ces projets.
Or les rhumatologues sont à l'interface entre la médecine générale et les structures plus complexes que sont les cliniques et les hôpitaux.
La rhumatologie française a une grande spécificité, celle d'avoir une vision globale de la pathologie ostéo-articulaire et rachidienne, à l'heure où la société souhaite une vision holistique de la santé.
Et récemment de nombreuses études démontrent l’importance du tissu osseux et ostéo-articulaire comme un témoin du bon état de santé physique et mental !1,2
Au dernier ECN, notre spécialité de rhumatologie ne s'est vue attribuer que 12 internes pour l'Île-de-France comptant 12 millions d'habitants soit un cinquième de la population. C’est un rhumatologue par million d’habitants et 74 postes pour le reste de la France !Nous disposons par ailleurs de services hospitaliers formateurs pour cette spécialité qui actuellement travaillent sans aucun interne en rhumatologie.
On peut alors se demander pourquoi cette spécialité est en voie de découpe, comme dans l'industrie d'ailleurs, alors même que notre population croît et vieillit, plutôt en bonne santé, et demande une compréhension globale de ses pathologies.
C'est la sauvegarde de notre spécialité qui est en jeu, elle qui a pourtant contribué au prestige de notre système.
De nombreuses autres spécialités sont actuellement dans cette même phase de disparition, c’est l’instauration d’un avatar du système anglais qui a montré de longue date son manque d'efficience au service quotidien des patients mais son expertise pour la Santé Publique, seul critère valorisé par tous nos dirigeants et penseurs de l'économie de santé !
J'ai profité des vacances d’été pour échanger avec un jeune généraliste trentenaire de la grande couronne d'Île-de-France. Je lui ai demandé son ressenti sur cette disparition progressive de notre spécialité dans son territoire, voici ses remarques :
• Pour les ponctions de genou, d'épaule et les infiltrations, il les adresse au radiologue, les orthopédistes ne sont pas intéressés par le sujet bien que certains s'en préoccupent.
• Pour les pathologies inflammatoires de type polyarthrite, il appelle ces deux derniers correspondants pour que ses patients soient pris en charge et démarrent rapidement un traitement de fond qu'il suivra en doublon avec le spécialiste au mieux, mais malheureusement compte tenu des délais de rendez-vous, il les adresse à la clinique ou à l'hôpital du secteur, quant au suivi des rhumatismes inflammatoires sous biothérapie ?
• Des patients lui demandent de voir un rhumatologue (eh oui ! certains patients savent à quel point nous sommes nécessaires) et sont prêts à attendre jusqu'à trois ou quatre mois pour un complément d'information, une autre thérapeutique ou une confirmation diagnostique du médecin traitant.
• Les prises en charge des lombo-sciatiques hyperalgiques et les névralgies cervico-brachiales intolérables sont malheureusement âprement discutées avec la clinique ou l'hôpital pour une prise en charge rapide.
• Les fibromyalgiques et autres syndromes douloureux chroniques sont adressés dans les services de prise en charge de la douleur, avec des délais très longs, mais nous savons qu'un certain nombre de spondylarthropathies sont des errances diagnostiques et cela confère à de la mauvaise médecine.
• Quant aux rendez-vous plus urgents, pour des pathologies douloureuses ou sportives, il les envoie sur Paris, où la capitale concentre encore quelques rhumatologues libéraux et salariés.
Alors pour trouver une solution à ce manque, au lieu d'augmenter le nombre de rhumatologues en formation, nos experts proposent des alternatives, qui ne viennent pas, bien sûr, du terrain :
• Les infiltrations pourront être assurées par une infirmière de pratiques avancées, IPA, tout comme les échographies que les rhumatologues ont pourtant pris en main car c'est le prolongement idéal de leur examen clinique.
• La pose du diagnostic de rhumatismes inflammatoires sera conduite par une IPA qui prescrira des examens complémentaires, accompagnée d'un médecin pour les traitements
• Les lombosciatiques seront prises en charge par le médecin généraliste et le radiologue pour les infiltrations, plus coûteux et irradiant, ou seront adressées à de plus grosses structures comme l'hôpital, pourtant beaucoup plus onéreuses.
• Les douleurs chroniques auront comme destination un Centre de la douleur, en nombre limité et pas mieux lotis.
• Sans parler de la floraison des ostéopathes3 qui croissent dans notre pays, 1 pour 20 rhumatologues ! et qui prennent leurs aises pour conseiller des examens complémentaires. Comme médecine holistique, on ne fait pas mieux !
Pourtant ces alternatives ne sont qu’au stade déclaratif ou sont débordées ou incapables d'assurer cette prise en charge. Nous ne sommes plus que 1 300 pour toute la France et de nombreux rhumatologues vont partir en retraite dans les 5 à 6 ans.
Or ces rhumatologues ont su, dans leur domaine, prendre en considération les douleurs aiguës et chroniques avec une bonne dose de médecine interne et de psychologie, ils se sont formés à l'échographie prolongement de leur examen clinique et ont appris à effectuer des gestes interventionnels avec cet appareil dans leur cabinet rendant un service notable à leurs patients.
Notre spécialité va de la clinique, à l'examen complémentaire, au traitement dans un même endroit et combien de nos patients nous remercient de cette présence, de ces gestes jugés d'intérêt limité par nos tutelles tant qu’elles n’en souffrent pas, mais qui pourtant rendent un service considérable pour leur quotidien en particulier pour les personnes âgées.
De l'infiltration des articulations douloureuses et inflammatoires des polyarthrites, aux épanchements mécaniques, les lombosciatiques très algiques, toutes sont effectuées dans le cabinet sous contrôle par nous-même, déjà ces personnes encombreront un peu plus les urgences faute de notre présence.
Et pour la Sécurité sociale combien de surcoûts évités : la présence des rhumatologues en France a réduit de 50 % le nombre de prothèses de genoux posées annuellement par rapport à la Grande-Bretagne ou l'Allemagne, sans compter les conséquences dramatiques des reprises répétées de ces prothèses, la réduction de la prescription d'examens IRM inutiles, le redressement de diagnostics mal posés, la prescription de thérapeutiques innovantes et coûteuses, réservées à notre spécialité.
Cette connaissance accumulée par nombre d'entre nous, l'existence de plateaux techniques partagés par plusieurs rhumatologues dans toute la France, évitant des déplacements inutiles ou lointains chez d’autres collègues, plutôt en province qu’à Paris, confèrent à notre spécialité d'être un vrai relai pour améliorer les relations ville-hôpital. Que nos décideurs sachent l'entendre et révisent leur point de vue lors des futurs débats, cette médecine humaine du quotidien, faite de gestes interventionnels, ne peut se faire en téléconsultation.
Éric Gibert Président de la FFR