LE RHUMATOLOGUE RESTERA-T-IL LE SPÉCIALISTE DE LA DOULEUR ?
ÉRIC GIBERT - PRÉSIDENT DE LA FFR
Cette période du Conseil national de la refondation de la médecine est à la fois une crainte et une chance.
1. Une crainte de voir se perdre tout ce qui a fait l’excellence française de la clinique, de l’écoute, du partage en utilisant la technique à bon escient.
La loi Rist, votée le lundi 16 janvier 2023, ouvre nombre de pratiques médicales à des non-médecins, en particulier les IPA (infirmière en pratique avancée) très utiles à l’hôpital. Cependant en libéral, leur activité prendra du travail aux médecins généralistes en leur laissant les consultations les plus longues et les plus prenantes aggravant le risque de burn-out : 14 % des décès de médecins sont des suicides !
Nos jeunes collègues en se référant exclusivement aux guidelines, avis d’experts, laissent le champ libre à une pratique stéréotypée de la rhumatologie disponible aux kinés qui pourront pratiquer, grâce à la nouvelle loi, les infiltrations et l’échographie !
Il manque un enseignement de la critique, de la capacité à s’extraire du contexte, à penser autrement, à utiliser d’autres apprentissages, notamment philosophique, sociologique, humaniste, qu’ils n’ont pas eu le temps d’acquérir : savoir maîtriser, échanger, communiquer avec les patients, utiliser leur empathie, qui les distingueront dans leurs pratiques.
2. Une chance d’avoir encore des enseignants, des collègues qui transmettent leur savoir, leur éthique, leur humanité.
Ainsi dans la douleur chronique, nous sommes suffisamment compétents, pour limiter l’engorgement des urgences et des centres de la douleur qui ne sont pas assez nombreux sur le territoire, par manque de professionnels de santé disponibles, à l’écoute de nos patients douloureux chroniques.
Les délais d’attente deviennent beaucoup trop longs et désespèrent les patients.
On sait que l’un des principaux facteurs de la chronicisation d’une douleur est la non reconnaissance de celle-ci et sa mauvaise prise en charge.
Les rhumatologues libéraux sont les médecins des douloureux d’un territoire de santé, aussi bien pour la douleur aiguë que la douleur chronique.
Ils offrent à leurs patients une réponse adaptée à leurs attentes :
1. En aiguë : combien de lombo-radiculalgies sont infiltrées sans passer par l’hôpital, combien de ponctions articulaires (épaule, genou, autres...) évitent ce passage hospitalier où personne ne saurait les prendre en charge en dehors du service spécifique qui n’a plus le moyen de les recevoir rapidement, l’ostéoporose fracturaire, certaines traumatologies…
2. En chronique : un maniement bien plus précis et raisonné, des antalgiques de niveau II et III, des anti-inflammatoires et des traitements de fond de toutes les maladies chroniques, évitant ainsi ces hospitalisations que depuis 20 ans nous avons très largement réduites, au point de fermer des lits dans les services de rhumatologie.
La pratique libérale a ainsi permis de réduire considérablement les surcoûts financiers, notamment hospitaliers, en intégrant de nouvelles pratiques, notamment les plateaux techniques qui comportent radiographies, densitométrie, échographies, EMG, pour une meilleure prise en charge des patients.
Cette activité libérale, au tarif conventionnel pour la majorité des rhumatologues du territoire, est proposée à des tarifs bas souvent jugés indécents quand on comprend que tous ces actes comportent des risques et apportent de vrais soulagements. Nous sommes devenus une référence auprès de la population et de nos confrères généralistes, et même si beaucoup d’entre nous évitons le passage aux urgences, en 10 ans le nombre des rhumatologues français a presque diminué de 40 %.
Pourtant, par idéologie et supposé économie, nos politiques, hospitalo-centrés, ont conservé cette volonté d’installer un système étatisé comme le NHS britannique, subtilement en cours d’installation depuis 25 ans.
Certes nous connaissons les preuves d’efficience de ce système pour la prévention et la Santé Publique, et la gestion plus relative des urgences mais c’est l’échec du NHS dans la prise en charge des pathologies du quotidien des patients qui reste oubliée, dont la douleur chronique.
Les patients se sont tournés vers les médecines complémentaires puis vers les médecines alternatives ou CAM dans lesquelles les IPA (infirmière de pratique avancée) prennent des responsabilités.
Elles prendront une plus grande place sur des problématiques de santé que les médecins n’auront plus en charge, les rhumatologues devront se réinventer, élargir leurs compétences au risque de disparaître.
Les MG sont débordés par toutes les charges médicales et administratives qu’on leur demande de porter, les formations qu’ils doivent intégrer dans différentes spécialités et la gestion de leurs MSP (Maison de Santé) et les CPTS (Communauté Professionnels Territoire Santé), perdant du temps disponible pour leur patientèle.
Le parcours santé de la loi Rist est en cours d’intégration par le système assuranciel et politique, comme le développement de la Santé Publique et du bien vivre.
Les autorités laissent les médecines alternatives, non remboursées bien sûr, prendre la main sur la médecine dite de bien-être.
La survie des rhumatologues libéraux passerait, pour les politiques, par la prise en charge des maladies chroniques en relai de l’hôpital s’il ne peut le proposer dans son enceinte, oubliant toute la prise en charge des pathologies mécaniques, les douloureux chroniques, démembrant une belle spécialité autour de l’appareil locomoteur : la bataille commence !