CORSETS ET CONTENTIONS LOMBAIRES
DR CLÉMENCE PALAZZO - HÔPITAL PRIVÉDEPROVENCE, AIX-EN-PROVENCE
L'objectif de cet exposé est d'aider à une meilleure prescription des ceintures et corsets lombaires. Nous verrons quels sont les grands types d'orthèses, leurs effets biomécaniques et cliniques, et les modalités de prescription. Nous ferons ensuite un bref état des lieux des connaissances concernant l'efficacité des orthèses dans les pathologies rachidiennes.
1. GÉNÉRALITÉS
Principaux types d'orthèse
Il existe 2 grands types d'orthèses du tronc: les orthèses souples et les or-thèses rigides. Pour chacune d'entre elles, le prescripteur a le choix entre des modèles de série, dont la fabrica-tion est standardisée et qui s'achètent en pharmacie, chez un orthoprothé-siste, ou en magasin spécialisé, et des modèles sur mesure, réalisés par un orthoprothésiste à partir d'une prise d'empreinte (plâtre ou numérique). Plus l'orthèse est rigide, plus elle va immobiliser le segment lombaire et corriger une déformation.
🔸Les orthèses souples(ou ceintures lombaires) Elles se prescrivent sur une ordon-nance simple, indépendante de celles comportant la prescription de produits pharmaceutiques ou d'un autre appareillage.Les ceintures de série sont fabri-quées de façon standardisée en quelques tailles. Le remboursement dépend de la hauteur de la ceinture (21 ou 26 cm). Le niveau de maintien est lié au tissu utilisé, au nombre et au type de baleines et au système de serrage. Il est recommandé aux rhu-matologues de connaître quelques modèles de ceintures pour amélio-rer leurs prescriptions. Par exemple, une ceinture simple peut être pres-crite en prévention secondaire chez un travailleur, tandis qu'une ceinture plus immobilisante sera choisie en cas de discopathie inflammatoire. Les ceintures sur mesure sont fabri-quées en coutil baleiné par un ortho-prothésiste. Les renforcements sont assurés par des renforts en acier ou matériaux thermoformables, incor-porés et inamovibles (figure 1). Elles sont plus rigides que les ceintures de série et s'adaptent à la morpho-logie du patient, notamment aux poids extrêmes ou aux déforma-tions du rachis. Leur coût est plus élevé qu'une ceinture de série et la fabrication plus longue.
🔸Les orthèses rigides
Les orthèses rigides de série sur le marché sont de deux types: les cor-sets d'immobilisation vertébrale de série (CIVS) et les corsets d’immo-bilisation et de maintien en hype-rextension du rachis (CIMHR) (indi-qués en cas de cyphose réductible débutante). Ces corsets, même s'ils sont modulables, ne sont pas par-faitement ajustés à la morphologie du patient et ne conviennent pas aux déformations importantes du rachis.
Les orthèses rigides sur mesure sont les corsets d'immobilisation vertébrale (CIV), les lombostats en résine ou plâtré réalisés par appli-cation directe sur le patient, et les corsets orthopédiques confection-nés après prise d'empreinte. Les CIV sont confectionnés à partir de cages préformées qui sont adaptées aux mensurations du patient. Ils ap-partiennent au petit appareillage et se prescrivent de la même façon que les orthèses souples. Ils sont intéres-sants si l'on souhaite une immobili-sation transitoire à visée antalgique (Modic 1, listhesis, lombosciatique), mais là encore ne conviennent pas aux déformations du rachis. Les lombostats en résine ou plâtre peuvent être réalisés par un mé-decin, un kinésithérapeute ou un orthoprothésiste. Ils ont l'avantage d'être disponibles immédiatement, d'être confortables mais ont une durée de vie courte.Enfin, les corsets orthopédiques (figure 2) font partie du grand appa-reillage et sont donc à ce titre totale-ment pris en charge par l'assurance maladie. La première prescription doit être faite sur une ordonnance spécifique (CERFA S3135). Le pres-cripteur doit mentionner la zone (lombaire ou thoraco-lombaire), le matériau, l'effet recherché (ou le type de corset) ; le diagnostic figure sur le troisième volet. Il est égale-ment important de préciser que le corset est fait à partir d'un moulage et que la durée de port sera supé-rieure à 3 mois (prérequis nécessaire pour justifier du grand appareillage). La fabrication d'un corset en plas-tique prend environ 3 semaines. Elle commence par la prise d'empreinte réalisée par un orthoprothésiste, le plus souvent de façon numérique.
L'image acquise par numérisation 3D du tronc est ensuite transférée sur un logiciel de rectification, puis la forme est modifiée selon l'effet souhaité, et ensuite fraisée. L'essayage du corset doit être fait en collaboration étroite du médecin et de l'orthoprothésiste. C'est lors de cette consultation que l'on vérifie l'efficacité et la tolérance de l'orthèse. Les modifications et les finitions sont ensuite réalisées dans l'atelier de l'orthoprothésiste, puis le corset est livré au patient. Le corset se porte sur un T.shirt sans couture bien tiré pour éviter les plis (pos-sibilité d'achat de T.shirt chez les orthoprothésistes sur ordonnance simple). Une radiographie du rachis peut être demandée chez l’en-fant et l’adolescent pour vérifier l'effet correctif en cas de déformation de la colonne vertébrale ; elle est rarement nécessaire chez l’adulte.
Chez l'enfant, le renouvellement peut être fait tous les ans. Chez l'adulte, il ne peut être fait que tous les trois ans (si le corset doit être refait avant cette date, ceci doit être justifié au-près de l'assurance maladie).
2. EFFETS BIOMÉCANIQUES ET CLINIQUES
Effet proprioceptif
Dans tous les cas, les orthèses du rachis permettent un rappel pro-prioceptif et aident à la prise de conscience de la colonne lombaire et du bassin.
Immobilisation
La capacité des orthèses rachi-diennes à immobiliser la colonne lombaire a été évaluée soit par un électrogoniomètre1,2, soit par des techniques d'imagerie (radiogra-phies prises dans différentes posi-tions ou fluoroscopie)3. Quelle que soit la méthode utilisée, la quasi-totalité des études va dans le même sens: les orthèses du rachis lom-baire limitent surtout l'inclinaison latérale et jouent de façon moins im-portante sur la flexion/extension3. La flexion globale du rachis lom-baire est restreinte de 30 à 50 %, et tient surtout à l'immobilisation des étages L3-L4 et L4-L54. L'étage L5-S1 n'est jamais immobilisé par une orthèse lombosacrée classique4 ; il faut utiliser un corset type hémiber-muda (c'est-à-dire avec prise cru-rale) à cet effet. Enfin, la rotation est peu ou pas limitée par les orthèses rachidiennes. De façon assez logique, les orthèses rigides immobilisent davantage que les orthèses souples2,3. Elles gênent surtout les amplitudes extrêmes.
Correction
En cas de déformation du rachis, le corset pourra être utilisé à visée corrective en utilisant des appuis placés à des endroits différents se-lon l'effet recherché.
Absence d'effet délétèresur le muscle
Dans la littérature, l'effet du corset sur le muscle est indiqué par la me-sure : 1) de l'activité musculaire par électromyographie, 2) de la force musculaire et 3) de la trophicité musculaire. 1) Les résultats des études élec-tromyographiques sont contra-dictoires et montrent une grande variabilité interindividuelle: cer-taines suggèrent que l'activité des muscles érecteurs du rachis dimi-nue sous corset tandis que d'autres ne montrent aucune modification, voire une augmentation de leur acti-vité à vitesse rapide5,3.
2) Les travaux évaluant la force musculaire suggèrent une augmen-tation de la force des muscles érec-teurs du rachis sous corset6 et après plusieurs semaines de port chez des sujets sains7, des sujets lombal-giques et en cas de fractures verté-brales ostéoporotiques8.
3) À notre connaissance, aucune étude de bonne qualité n'évalue la trophicité musculaire après port de corset. Il n'existe donc à ce jour aucune preuve de l'effet délétère du corset sur le muscle9.
3. PRINCIPALES INDICATIONS EN RHUMATOLOGIE
Lombalgie commune
Les études incluent des popula-tions trop hétérogènes pour pou-voir dégager des recommandations claires10. Deux essais contrôlés randomisés publiés après la méta-analyse de la Cochrane méritent quand même d'être cités. Deux essais contrôlés randomisés publiés après la méta-analyse de la Cochrane méritent quand même d'être cités. Le pre-mier montre l'intérêt des ceintures lombaires en prévention secondaire dans une population de soignants à domicile ayant déjà souffert de lom-balgie11.
Le port de ceinture rédui-sait le nombre de jours avec dou-leurs mais n'avait pas d'effet sur le nombre de jours d'arrêt de travail. La deuxième étude12 suggère l'inté-rêt du corset rigide en association aux soins usuels (antalgiques et kinésithérapie active) sur la fonc-tion et la douleur. Certaines études sur des sous-groupes mieux définis de patients lombalgiques pourraient montrer des résultats plus concluants, comme le travail de Boutevillain et al qui suggère un effet antalgique du corset dans la discopathie inflammatoire13.
Déformations du rachisu
🔸Scoliose
L'efficacité du corset est largement démontrée dans la scoliose idio-pathique de l'adolescent14. Chez l'adulte, les objectifs du traitement orthopédique sont avant tout de soulager les douleurs et d'amélio-rer la fonction. Quelques études ou-vertes ont évalué l'efficacité du cor-set sur la douleur avec des résultats encourageants15. Un travail rétros-pectif montre que le port d'un cor-set lombaire rigide pourrait ralentir l'évolution de la scoliose lombaire de l'adulte s'il est porté au moins 6 heures par jour16. Le corset est donc indiqué en cas de douleurs (port à la demande), ou d'évolutivité, définie par une progression de l'angle de 5° environ.
🔸Camptocormie
Dans la cyphose acquise réductible de l'adulte (ou "camptocormie"), les orthèses rachidiennes sont souvent mal tolérées. À un stade très débu-tant, une orthèse dynamique for-çant le patient à se redresser active-ment peut être essayée. À un stade plus avancé, une orthèse rigide thoracolombosacrée est nécessaire (figure 3). La réalisation (berckoise, corset monovalve ou bivalve, corset mo-dulable type Bordeaux) et le maté-riau utilisé (plastique, bidensité) varient en fonction des équipes et de la demande du patient17,18. Dans tous les cas, il est indispensable d'y associer une rééducation active qui permettra de mieux tolérer lecorset17,18. Fractures vertébralesostéoporotiquesPeu de travaux ont analysé l'intérêt du corset dans les fractures verté-brales ostéoporotiques19,20. Ils sug-gèrent un effet antalgique à court terme du corset rigide. Son effet sur l'équilibre sagittal n'a jamais été évalué. En pratique, il est conseillé de le porter 2 mois après l'épisode fracturaire.
🔸CONCLUSION Le choix de l'orthèse lombaire dépend de l'objectif recherché. Une ceinture souple est suffisante pour soulager un épisode de lombalgie aigue, pour faciliter la marche chez des patients âgés ou en prévention secondaire chez des travailleurs de force. Une ceinture sur mesure en coutil baleiné est nécessaire en cas de déformation importante du rachis, mais son coût est plus important. Un corset orthopédique est indiqué en cas de fracture vertébrale récente, de scoliose évolutive, de camptocormie, ou si une ceinture souple ne suffit pas à soulager les douleurs. L'évaluation de l'efficacité et de la tolérance du corset doit se faire de façon conjointe entre le rhumatologue et l'orthoprothésiste. |
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt |
RÉFÉRENCES
🔸1.Bible JE, Biswas D, Miller CP, Whang PG, Grauer JN. 2010. Normal Functional Range of Motion of the Lumbar Spine During 15 Activities of Daily Living. Journal of Spinal Disorders & Techniques. 23(2):106–12 🔸2.Jegede KA, Miller CP, Bible JE, Whang PG, Grauer JN. 2011. The effects of three different types of orthoses on the range of motion of the lumbar spine during 15 activities of daily living. Spine. 36(26):2346–53🔸3.van Poppel MN, de Looze MP, Koes BW, Smid T, Bouter LM. 2000. Mechanisms of action of lumbar supports: a systematic review. Spine. 25(16):2103–13🔸4.Utter A, Anderson ML, Cunniff JG, Kaufman KR, Jelsing EJ, et al. 2010. Video fluoroscopic analysis of the effects of three commonly-prescribed off-the-shelf orthoses on vertebral motion. Spine. 35(12):E525–29🔸5.Granata KP, Marras WS, Davis KG. 1997. Biomechanical assessment of lifting dynamics, muscle activity and spinal loads while using three different styles of lifting belt. Clin Biomech (Bristol, Avon). 12(2):107–15.🔸6.Kawaguchi Y, Gejo R, Kanamori M, Kimura T. 2002. Quantitative analysis of the effect of lumbar orthosis on trunk muscle strength and muscle activity in normal subjects. J Orthop Sci. 7(4):483–89.🔸7.Fayolle-Minon I, Calmels P. 2008. Effect of wearing a lumbar orthosis on trunk muscles: study of the muscle strength after 21 days of use on healthy subjects. Joint Bone Spine. 75(1):58–63.🔸8.Pfeifer M, Kohlwey L, Begerow B, Minne HW. 2011. Effects of two newly developed spinal orthoses on trunk muscle strength, posture, and quality-of-life in women with postmenopausal osteoporosis: a randomized trial. Am J Phys Med Rehabil. 90(10):805–15.
🔸9.Azadinia F, Ebrahimi E, Kamyab M et al. 2017. Can lumbosacral orthoses cause trunk muscle weakness? A systematic review of literature. Spine J. 17 (4): 589-602.🔸10.van Duijvenbode ICD, Jellema P, van Poppel MNM, van Tulder MW. 2008. Lumbar supports for prevention and treatment of low back pain. Cochrane Database Syst Rev, p. CD001823.🔸11.Roelofs PDDM, Bierma-Zeinstra SMA, van Poppel MNM, Jellema P, Willemsen SP, et al. 2007. Lumbar supports to prevent recurrent low back pain among home care workers: a randomized trial. Ann. Intern. Med. 147(10):685–92.🔸12.Morrisette DC, Cholewicki J, Logan S, Seif G, McGowan S. 2014.A randomized clinical trial comparing extensible and inextensible lumbosacral orthoses and standard care alone in the management of lower back pain. Spine. 39(21):1733–42.🔸13.Boutevillain L, Bonnin A, Chabaud A, Morel C, Giustiniani M, et al. 2019. Short-term pain evolution in chronic low back pain with Modic type 1 changes treated by a lumbar rigid brace: A retrospective study. Ann Phys Rehabil Med. 62(1):3-7.🔸14.Weinstein SL, Dolan LA, Wright JG, Dobbs MB. 2013. Effects of bracing in adolescents with idiopathic scoliosis. N. Engl. J. Med. 369(16):1512–21.🔸15.Weiss H-R, Dallmayer R. 2006. Brace treatment of spinal claudication in an adult with lumbar scoliosis-a case report. Stud Health Technol Inform. 123:586–89.🔸16.Palazzo C, Montigny JP, Barbot F, Bussel B, Vaugier I, et al. 2017. Effects of Bracing in Adult With Scoliosis: A Retrospective Study. Ann Phys Rehabil Med. 98(1):187-90.🔸17.de Sèze M-P, Creuzé A, de Sèze M, Mazaux J-M. 2008. An orthosis and physiotherapy programme for camptocormia: a prospective case study. J Rehabil Med. 40(9):761–65.🔸18.Ye BK, Kim H-S, Kim YW. 2015. Correction of camptocormia using a cruciform anterior spinal hyperextension brace and back extensor strengthening exercise in a patient with Parkinson disease. Ann Rehabil Med. 39(1):128–32.🔸19.Hoshino M, Tsujio T, Terai H, Namikawa T, Kato M, et al. 2013. Impact of initial conservative treatment interventions on the outcomes of patients with osteoporotic vertebral fractures. Spine. 38(11):E641–48.🔸20.Kim H-J, Yi J-M, Cho H-G, Chang B-S, Lee C-K, et al. 2014. Comparative study of the treatment outcomes of osteoporotic compression fractures without neurologic injury using a rigid brace, a soft brace, and no brace: a prospective randomized controlled non-inferiority trial. J Bone Joint Surg Am. 96(23):1959–66.