L’HYPNOSE, UN OUTIL SUPPLÉMENTAIRE POUR LES RHUMATOLOGUES
DR GÉRARD FITOUSSI - PRÉSIDENT D’HONNEUR DE L’AFHYP*, PRÉSIDENT-ELECT DE ESH
*Association Française d ́Hypnose, **European Society of Hypnosis
L’hypnose, après une longue période d’absence du champ médical, intéresse à nouveau les professionnels de santé. Pourquoi ce renouveau et quel intérêt peut-elle présenter en rhumatologie ?
INTRODUCTION
L’hypnose est à nouveau à l’ordre du jour dans le champ médical. Qu’est-ce que l’hypnose ? Pour quelles rai-sons assiste-t-on à ce renouveau ? Et en quoi cela peut-il intéresser les médecins et en particulier les rhu-matologues ?
DÉFINITION
Les définitions de l’hypnose sont nombreuses, celle élaborée en 2014 par l’Association de Psychologie Américaine (APA), bien qu’impar-faite, fait consensus dans le monde de la recherche, à savoir : « Un état de conscience avec une focalisation de l’attention, une réduction du champ de conscience périphérique caracté-risée par une augmentation de la ca-pacité à répondre aux suggestions »1.
LE TRÉPIED HYPNOTIQUE, UN EXEMPLE : LA LECTURE
Pour qu’une séance d’hypnose puisse s’effectuer, trois éléments sont indispensables, constituant le trépied hypnotique : la fixation de l’attention, l’absorption et la disso-ciation. Ces trois ingrédients sont nécessaires à l’installation d’un état hypnotique. L’exemple le plus simple pour l’expérimenter est celui de la lecture.Lorsqu’un ouvrage nous intéresse, notre attention est fixée, s’il nous in-téresse vraiment nous serons absorbés par sa lecture, ce qui va réduire notre champ de conscience, un peu comme si l’on se trouvait dans une « bulle » et nous serons tellement absorbés que nous entrerons en dis-sociation, un grand mot pour indiquer que, si par exemple l’histoire se déroule au Moyen Âge, en Italie, nous serons simultanément, chez nous dans notre fauteuil et en Italie, au Moyen Âge. La meilleure façon de vérifier si nous sommes dans cet état hypnotique est de regarder sa montre ; si l’on se dit, je n’ai pas vu le temps passer, c’est que nous sommes en état hypnotique. Cette distorsion temporelle est présente chaque fois qu’une activité, de loisirs ou de travail absorbe toute notre attention. L’exemple de la lecture, par sa banalité, souligne que cet état hypnotique n’a rien de mysté-rieux, qu’il est fréquent, quasi quoti-dien et commun à tous les individus.
Une fois que le sujet est dans cet état hypnotique, le quatrième ingré-dient, les suggestions effectuées par le praticien seront plus facilement acceptées par le sujet et on passe de l’état hypnotique à l’hypnose thérapeutique
RAPPEL HISTORIQUE
L’histoire de l’hypnose sous des appellations différentes est très an-cienne et l’on retrouve dans toutes les traditions, dès l’antiquité, des pratiques similaires à l’approche contemporaine de l’hypnose. C’est avec le médecin viennois Franz-Anton Mesmer (1734-1815) que le « magnétisme animal » fait son entrée dans le monde moderne. Mes-mer a remarqué que les aimants utilisés pour soulager les souffrances des patients douloureux n’étaient pas nécessaires et qu’il pouvait s’en passer, ce qu’il fait aussitôt avec des résultats tout aussi satisfaisants. Afin de se démarquer de ses prédécesseurs, il propose le terme de « magnétisme animal » pour décrire les manifestations observées lors des cures magnétiques. Pour Mes-mer, le fluide magnétique qu’il pro-pose comme explication des diffé-rentes pathologies qu’il va guérir n’a rien d’une appellation symbolique mais est un phénomène matériel réel. Ce fluide invisible, mais réel, n’étonne pas ses contemporains dont les esprits ont été préparés par Newton (1642-1726) et la mise en évidence du phénomène de la gravitation, cette force d’attraction, invisible, qui régit à distance tout l’univers, mais aussi par les travaux de Volta (1745-1827) et de Galvani (1737-1798) sur l’électricité ou des frères Montgolfier s’élevant dans les airs en s’appuyant sur la force d’Ar-chimède, provenant de la différence de densité entre l’air chaud du ballon et l’air ambiant. Lorsque la circulation du fluide magnétique était entravée, il s’en suivait des manifestations pathologiques ; le magnétiseur, par la puissance de son énergie, en rétablissant la circulation allait restaurer la santé du sujet en provoquant une « crise magnétique » salutaire. Le grand mérite de Mesmer fut de proposer une explication naturelle à ce qui prendra le nom d’hypnose plus tard et d’écarter toutes les ex-plications faisant appel au surnatu-rel qui prévalaient avant lui. Cette « explication fausse » mais naturelle permit l’expérimentation et la réfutation, ce qui pour l’épistémologue des sciences Karl Popper (1902–1994) est la caractéristique d’une approche scientifique. Les successeurs de Mesmer poursuivront observations et expérimentations et proposeront de nouvelles théories rendant compte des phénomènes observés. Les appellations fleurissent, celle finalement retenue, l’hypnotisme, proposée par le Baron Étienne Félix d’Hénin de Cuvilliers (1755-1841), sera attribuée par la postérité au chirurgien écossais, James Braid (1795–1860) pour devenir l’hypnose que nous connaissons aujourd’hui.
Il y a encore peu, en 1980, sur les an-tennes d’une radio nationale, un invité indiquait : « l’hypnose est morte et bien morte ». Pourtant, quarante ans plus tard, l’hypnose est partout et son utilisation ne cesse de s’élargir. Voici la réponse d’un confrère à la question : qu’est-ce que l’hypnose a changé dans votre pratique ? « Tout... Aujourd'hui, je repense à mes 30 ans de pratique médicale et j'ai parfois presque honte. En fait, je me demande maintenant s'il est vraiment raisonnable et sain de prendre en charge des patients sans connaître un minimum de connaissances sur la physiologie de l'hypnose et ses formidables ressources cognitives. L'hypnose a complètement changé ma vision du soin et je me sens moins seul désormais :le coworking avec le patient, ses idées, ses ressources et sa motiva-tion est absolument fantastique. Vous savez, la médecine devient de plus en plus technique de nos jours. L'intelligence artificielle (I.A.), les machines et les technologies peuvent faire passer le médecin à un rôle secondaire. Mais l'hypnose et les thérapies brèves ramènent une réelle humanité dans les soins. » Ces propos sont très forts. Quand un praticien répond « l’hypnose a tout changé dans ma pratique » et quand il ajoute « Aujourd'hui, je repense à mes 30 ans de pratique médicale et j'ai parfois presque honte », on se dit qu’il y a vraiment eu une mutation majeure, changement d’autant plus important quand celui qui les tient, est Professeur, chef de service de CHU et directeur d’une unité l’INSERM2.
QUELS FACTEURS EXPLIQUENT CETTE ÉVOLUTION ET CE REGAIN D’INTÉRÊT POUR
L’HYPNOSE ?
On peut en retenir trois. Le premier étant le renouveau de la recherche fondamentale en hypnose depuis l’essor dans les années 1980 de l’imagerie fonctionnelle. La première étude par imagerie avec pour sujet l’hypnose date de 19853 et depuis les recherches se sont multipliées. Les chercheurs ont pu bénéficier de différents outils, imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf ), magnéto-encéphalographie (MEG), tomographie par émission de positons (TEP-scan), et explorer les modifications cérébrales surve-nant lorsqu’un sujet est en état hyp-notique par exemple. En parallèle de ces travaux en recherche fonda-mentale, la recherche clinique n’a pas été en reste et a validé l’intérêt de l’hypnose dans trois domaines, les troubles fonctionnels intestinaux, l’anxiété et la douleur et l’anesthé-sie préopératoire.4 Signalons aussi pour montrer le champ des possibles de l’utilisation de l’hypnose, les traaux de Levitas5, sur la fécondation in vitro ou d’Elkins dans la prise en charge des bouffées de chaleur.6 Le second facteur, ce sont les médecins. Les cliniciens perçoivent bien qu’en dépit des avancées techniques et médicamenteuses, il y a « quelque chose » d’insatisfaisant dans l’inte-raction médicale et dans les résultats obtenus en particulier en présence de pathologies chroniques et que nombre de patients ne répondent pas même au meilleur traitement, fait par le meilleur praticien.Chaque médecin doit faire face à des patients douloureux qui souffrent, désespèrent, et il faut bien le dire désespèrent aussi le médecin qui se trouve démuni sans trop savoir que proposer. C’est que, dans ces situations chroniques le plus souvent, « autre chose » est en jeu, de l’ordre du non-dit et de l’indicible, que le corps exprime et qu’il faut savoir en-tendre, ce que Peter Drucker, spécialiste de la communication, indique en disant que « le plus important en communication est d’entendre ce qui n’est pas dit »7. De fait, le para-digme cartésien de la dualité corps-esprit, avec d’un côté le somaticien s’occupant du corps et de l’autre le psychiatre du mental, cède peu à peu la place au monisme spinoziste, celui où l’on comprend que l’on ne peut dissocier l’un de l’autre.Permettez-moi de citer ce texte : « De même qu'on ne peut soigner l'œil, sans soigner la tête, ni la tête, sans soigner le corps, de même, on ne peut soigner le corps sans soigner l'âme. Et c'est pourquoi la plupart des pathologies sont au-delà des compétences des médecins grecs, parce qu'ils négligent la totalité, parce que si le tout est en mau-vais état, il est impossible de faire qu’une partie soit en bon état. L'âme est à l'origine et à la source de tout ce qui arrive, bon ou mauvais [...] Or l'âme se soigne par les incantations et ces incantations, cher ami, ce sont les beaux discours. Ils engendrent la sagesse dans les âmes et une fois qu'elle est formée et présente, il est facile de procurer la santé à la tête et au reste du corps »8.
Platon soulignait déjà, la distinction entre la médecine occidentale, re-présentée par « les médecins grecs », et la médecine orientale représentée par les « médecins thraces », ainsi que la nécessité de prendre en compte le patient dans sa globalité. Les médecins ne souhaitent pas être des techniciens, cela ne répond pas à leur vocation première de venir en aide à un autre être humain, à cette personne qui se présente dans leur cabinet, cet être singulier qui ne peut se réduire à un symptôme ou à un corps. Passer du temps avec le patient, prendre le temps de l’écouter est essentiel pour celui-ci, mais l’est tout autant pour le médecin. Enfin, le dernier facteur de cette évolution, ce sont les patients eux-mêmes qui éprouvent le besoin d’être reconnus comme individus et pas seulement comme malades. Ils ne veulent plus être passifs, sou-haitent devenir acteurs de leur san-té et manifestent le besoin d’être écoutés et entendus. Les patients sont aussi informés, surinformés, mal informés, mais pas toujours, et désirent une autre démarche et un autre abord du praticien. C’est d’ailleurs une des explications de l’essor des pratiques alternatives et complémentaires, auxquelles, les instances représentatives de l’hypnose ne sou-haitent pas être associées.
L’ORGANISATION DE LA DISCIPLINE
Au fil des années, les praticiens intéressés par l’hypnose se sont organisés en créant en 1969, l’Inter-national Society of Hypnosis (ISH)9, l’European Society of Hypnosis (ESH) en 197810, et la Confédération Fran-cophone d’Hypnose et de Thérapies Brèves en 199611. Dans la même pé-riode, la discipline se dote de revues avec comité de lecture comme l’In-ternational Journal of Clinical and Experimental Hypnosis, (IJCEH)12 , et en France de deux revues, Hypnose et thérapies brèves13 et la Revue de l’hypnose et de la santé14.
Y-A-T-IL DES CONTRE- INDICATIONS À L’UTILISATION DE L’HYPNOSE ?
Il n’y a pas vraiment de contre-in-dication à l’utilisation de l’hypnose sous réserve de rester dans son champ de compétences. De façon classique, l’utilisation de l’hypnose n’est pas indiquée chez les patients borderline ou psychotiques, mais dans les faits la compétence du pra-ticien à prendre en charge ces pa-tients est la seule condition requise à l’utilisation ou non de l’hypnose.
Y-A-T-IL DES EFFETS INDÉSIRABLES ?
Les effets indésirables sont rares et le plus souvent de faible gravité. Parmi les plus fréquents, les cépha-lées, étourdissements, nausées ou autres torticolis15. Un des risques majeurs est l’implantation de faux-souvenirs, exacerbé sous hypnose, et décrit par E. Loftus16.
QUELLES INDICATIONS EN RHUMATOLOGIE ?
Pas plus qu’aucune thérapeutique, l’hypnose n’est une panacée. On peut cependant raisonnablement propo-ser plusieurs indications. La principale indication étant en rhumatologie la douleur chronique dans ses diverses manifestations, lombalgies chroniques, algodystrophies, fibromyalgies, torticolis spasmodiques17. Une autre indication est l’utilisation de l’hypnose lors de la réalisation des gestes invasifs et infiltrations, on parle alors d’« hypnose de soins »18. L’hypnose est aussi intéressante pour atténuer l’anxiété et la dépression souvent présentes comme co-morbidité dans de nombreuses pathologies rhumatologiques comme la polyarthrite rhumatoïde19. Enfin, elle s’avère utile en préparation à la chirurgie20.
Cependant, il paraitrait pour le moins utile qu’ils en apprennent les rudiments, ne serait ce que pour connaitre les indications et contre-indications, et qu’ils aient dans leurs carnets d’adresses les coordonnées de confrères vers lesquels ils pourront, en toute confiance, orienter les patients pour lesquels ils auront épuisé les traitements habituels ou dont ils pensent qu’ils pourraient bénéficier de cette approche. Ce cor-respondant de confiance est particulièrement important à connaitre, car paradoxalement le grand danger guettant l’hypnose c’est son succès et sa diffusion au-delà des professions de santé, et la confusion faite entre la compétence professionnelle et la maitrise de l’outil qu’est l’hypnose. De même qu’il n’y a pas « d’infil-trologues », ou « d’échographolo-gues », mais des rhumatologues effectuant des infiltrations ou des échographies, il n’y a pas davantage « d’hypnothérapeute », mais des médecins, dentistes, infirmiers pratiquant l’hypnose. La seule compétence valide est la compétence professionnelle, la connaissance de l’outil qu’est l’hypnose ne conférant aucune compétence médicale. Le leitmotiv énoncé lors de toutes les formations est de ne faire par hypnose que ce que l’on sait faire sans.
LES RHUMATOLOGUES DOIVENT-ILS TOUS SE FORMER À L’HYPNOSE ?
Doit-on conclure que tous les rhu-matologues doivent se former à l’hypnose ? Ce serait souhaitable, d’autant que la formation à l’initiation de l’hypnose est de cinquante heures, mais peu réaliste à ce jour.
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt |
RÉFÉRENCES
◆ 1.Gary Elkins, Arreed F. Barabasz, James R. Council, David Spiegel, « Advancing research and practice, the revised APA division 30, Definition of hypnosis », International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis, 63(1), 2015, p. 1-9. ◆ 2.O ESHNL, 2022-03, p. 32-36. ◆ 3.L. Baer, Robert H Ackerman, Thomas P. Hackett, « PET Studies During Hypnosis and Hypnotic Suggestion, », Biological Psychiatry, Higher Nervous Activity, 1985, p. 293-298. ◆ 4.Marie E. Faymonville, Thierry Defechereux, Jean Joris, J.P Adant, Etienne Hamoir, Michel Meurisse, « L'hypnose et son application en chirurgie », Revue Médicale de Liège, 53, (7), 1998. p. 414-418. ◆ 5.Eliahu Levitas, Aldo Parmet, Eitan Lunenfeld,Yacov Bentov, Eliezer Burstein, Michael Friger, Gad Potashnik, « Impact of hypnosis during embryo transfer on the outcome of in vitro fertilization–embryo transfer: a case-control study », Fertility and Sterility, Vol. 85 (5), May 2006. p. 1404-1408. ◆ 6.Jim R. Sliwinski, Gary R. Elkins, « Hypnotherapy to Reduce Hot Flashes: Examination of Response Expectancies as a Mediator of Outcomes », Journal of Evidence-Based Complementary & Alternative Medicine, 2017. p. 1-8. ◆ 7.Pr Fergus Shanahan, Si mon médecin m’écoutait, Les Arènes, Paris, 2020, p. 162. ◆ 8.Platon, Trad. Émile Chambry, Charmide, Paris, GF-Flammarion, 1967, p. 276-277. u 9.https://www.ishhypnosis.org u 10.https://esh-hypnosis.eu ◆ 11.Cfhtb.org ◆ 12. https://ijceh.com ◆ 13.http://www.revue-hypnose-therapies-breves.com ◆ 14.https://www.dunod.com/revue-hypnose-et-sante ◆ 15.John Gruzelier, “Unwanted effects of hypnosis : a review of the evidence and its implications”, Contemporary Hypnosis, Vol. 17 (4), 2000 . p. 163–193. u◆ 16.Loftus, E.F., « A 30-year investigation of the malleability of memory. », Learning and Memory,12, 2005 .p. 361-366. ◆ 17.Mulliez A, Aublet-Cuvellier, Hypnosis for management of fibromyalgia, International Journal of Clinical and Experimental Hypnosis, EH 61 (1), 2013, p. 111-123. ◆ 18.D. Michaux, Y. Halfon, C. Wood, Manuel d’hypnose, Maloine, 2013. ◆19.Margaretten, Julian, Katz& Yelin, Depression in patients with rheumatoid arthritis: description, causes and mechanisms , Int. J. Clin. Rheumatol, 2011, 6(6), p. 617–623. ◆ 20.Schroeter Florent, Étude pilote : L’hypnose comme technique de potentialisation du traitement interventionnel antalgique des lombalgies chroniques, Mémoire de Maîtrise en médecine N° 3322, Université de Lausanne, 14.01.2017.