LA MUSIQUE : DES VERTUS ANTIDOULEUR RECONNUES
Dès l’antiquité, grecque1, chinoise ou romaine, la musique a été étudiée par les philosophes et les scientifiques de l’époque afin d’identifier ses vertus morales, physiologiques, psychiques et spirituelles. Ses effets sur les hommes (baisse du stress, meilleure motricité, développement de la créativité, meilleure gestion des émotions…) ont contribué à en faire un médium thérapeutique2 reconnu. Au fil des siècles, les savants n’ont cessé de l’étudier. Grâce au développement de l’imagerie médicale et l’arrivée des neurosciences, de nombreuses études3 ont permis de confirmer ses «super-pouvoirs» tout particulièrement sur la gestion de la douleur4. Selon la fédération française de musicothérapie, « la musicothérapie est une pratique de soin, d’aide, de soutien ou de rééducation qui consiste à prendre en charge des personnes présentant des difficultés de communication et/ou de relation. Il existe différentes techniques de musicothérapie, adaptées aux populations concernées :troubles psychoaffectifs, difficultés sociales ou comportementales, troubles sensoriels, physiques ou neurologiques. La musicothérapie s’appuie sur les liens étroits entre les éléments constitutifs de la musique, et l’histoire du sujet. Elle utilise la médiation sonore et/ou musicale afin d’ouvrir ou restaurer la communication et l’expression au sein de la relation dans le registre verbal et/ou non verbal ».
En 20085, le professeur de psychologie cognitive Mathieu Roy de l’Université de McGill a pu mesurer le pourcentage de diminution de la douleur sur des patients ayant subi une stimulation thermique comparable à une très légère brûlure de café de quelques secondes sur l’avant-bras. Les patients qui ont écouté de la musique jugée agréable ont déclaré avoir moins ressenti de douleur que ceux qui écoutaient une musique jugée peu agréable ou tout simplement qui subissaient l’expérience sans musique. Les patients ayant choisi leur propre musique semblent avoir bénéficié plus encore de l’effet antidouleur. Selon le professeur Roy, dans certaines conditions, « la musique réduirait de 10 % à 20 % le niveau de douleur, ce qui donne à peu près le même effet que les analgésiques ou les anti-inflammatoires. »
Et, d’ajouter que pour soulager une douleur aiguë ou chronique, il n’est pas nécessaire que le patient porte une attention totale à la musique écoutée « il semble que les effets soient en partie indépendants de l’attention que l’on donne à la musique.
Si la musique est une aide sérieuse à la réduction de la douleur, elle n’est pas pour autant miraculeuse car pour fonctionner au mieux, elle doit s’intégrer aux protocoles thérapeutiques en cours : « l’ajout de la musique peut améliorer le traitement de la douleur ou permettre de diminuer les doses de certains médicaments. »6 souligne le professeur Roy. La musique est avant tout une thérapie complémentaire. Elle exerce une influence positive sur le corps en favorisant une détente globale ou plus localisée tant au niveau de la respiration, du rythme cardiaque que de la pression artérielle. Pour autant, les scientifiques ne savent toujours pas précisément comment ce processus s’enclenche réellement.
Ce que nous pouvons dire c’est que la douleur est une réaction de l’organisme face à une agression. Les sensations douloureuses (tensions, torsions, brûlures...) se traduisent par une expérience émotive désagréable plus ou moins soutenue chez les patients. Les terminaisons nerveuses (peau, tissus) sont ainsi stimulées et l’information se propage le long des nerfs nocicepteurs pour finalement être transmise à la moelle épinière et au cerveau : ce n’est qu’à ce moment-là que le signal est identifié comme une douleur. L’imagerie médicale conduit à démontrer que les centres cérébraux responsables de la perception de la douleur sont étroitement liés aux centres des émotions. Ainsi, la perception de la musique entraine chez les patients douloureux une contre-stimulation (théorie de la douleur dite Gate Control Theory)7.
La perception douloureuse réduite sous l’effet d’une attention détournée (sensations et images agréables) concourt à un lâcher-prise psycho physiologique effectif. Le seuil de sensibilité à la douleur du patient est alors modifié. On note dès lors un effet anti-stress (chute du taux de cortisol, de l’adrénaline, hausse de la dopamine et de la sérotonine) puis par effet de cascade une élévation des hormones anti-douleur (endomorphine). Les patients sont alors plus détendus, présents à leur corps, capables d’évoquer leurs émotions dans un contexte plus favorable. Les indications cliniques de la musicothérapie sont nombreuses : cardiologie, obstétrique, stomatologie, rééducation fonctionnelle, oncologie, rhumatologie, soins palliatifs, par exemple. Avec des effets notoires sur les paramètres physiologiques et psychiques.
Les niveaux (intensité, fréquence) d’anxiété, de dépression, de douleur somatique, de trouble du sommeil et du comportement, ont fortement été réduits8. Récemment, une technique dite en « U » a été standardisée via une application dédiée (Music Care) permettant aux soignants de sélectionner une séance de musicothérapie (séquence en U)9 de 20 minutes en fonction des choix des patients. L’objectif de cette technique est de modifier l’état d’attention par des suggestions positives : ce qu’on appelle l’induction musicale. De nombreux centres de soins (cliniques, hôpitaux) utilisent cette méthode.
LA MUSIQUE ET LES DOULEURS RHUMATISMALES
Les personnes ayant des pathologies rhumatismales peuvent tout à fait bénéficier de séances de musicothérapie. À ce titre, l’une des études10 portant sur les douleurs aiguës et chroniques des patients fibromyalgiques a montré qu’une écoute musicale régulière permettait de réduire de 20 à 90 % le niveau de douleur ressentie et de 30 à 75 % en ce qui concerne l’anxiété. Selon les auteurs, l’écoute musicale entraine une limitation de l’usage des traitements médicamenteux d’au moins 50 % pouvant atteindre 90 % dans certains cas. Par ailleurs, chez certains patients, les capacités fonctionnelles (mobilité, souplesse) se sont nettement améliorées. Les sensations de fatigue, d’intolérance à l’effort sont diminuées : « ces effets sont liés aux propriétés distractives et hédoniques de la musique lors de l’écoute et s’exercent au niveau cérébral en modulant les réseaux fonctionnels neuronaux impliqués dans la nociception et la motivation. » soulignent les auteurs.
Dans le cadre des douleurs rhumatismales chroniques rachidiennes, une étude11 conduite en 2008 a montré que 88 % des patients concernés par cette pathologie déclarent une amélioration de la prise en charge de la douleur avec une réduction des tensions physiques et psychiques sur la durée. Les auteurs déclarent que « ces éléments apportés par la musicothérapie aboutissent donc à un soulagement de la douleur et à la création d'un climat de confiance. La musicothérapie est une autre méthode de relaxation. »
Une autre étude sur les douleurs rhumatismales12chroniques dont l’objectif est de mesurer l’impact de la musicothérapie sur l’humeur des patients, a conclu à une baisse significative du niveau d’anxiété et de la fréquence cardiaque chez les patients écoutant de la musique : « cet outil, peu coûteux et disponible, devrait être davantage utilisé dans notre pratique quotidienne, notamment lors du traitement de patients atteints de
maladies chroniques douloureuses. »
Enfin, une dernière étude13 relative à l'intérêt de la musicothérapie dans la prise en charge des patients lombalgiques chroniques hospitalisés témoigne de manière significative de la pertinence des protocoles d’écoute musicale sur le niveau de mieux-être : baisse de l’intensité douloureuse en cours de rééducation à J+5, de l’anxiété et des épisodes dépressifs. L'effet à court terme sur la douleur (EVA) est confirmé par les résultats d’après séances.
▶CONCLUSION La prise en charge de patients douloureux dans le cadre de séances de musicothérapie s’avère un complément intéressant en termes de confort psychophysiologique. Les différentes études ont démontré l’intérêt de tels protocoles sur la réduction de la perception de la douleur, la baisse du stress et de l’anxiété, la diminution des problèmes fonctionnels et celle de l’usage répété d’anti-douleur À la suite d’une écoute musicale régulière lors des soins et en post-cure, il est constaté un changement positif de comportement chez les patients. Autant d’éléments favorables à un accompagnement encadré des patients. ■ |
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt. |
⏩ Contact : Dr Stéphane Breton / bretonstef@yahoo.fr |
RÉFÉRENCES :
⬪1. https://global.oup.com/academic/product/experiencing-pain-in-imperial-greek-culture-9780198810513?cc=ca&lang=en&
⬪2. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/15617601/
⬪3. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0149763411001151
⬪4. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0885392486800240
⬪5. https://journals.lww.com/pain/Abstract/2008/01000/Emotional_valence_contributes_to_music_induced.18.aspx
⬪6. https://www.erudit.org/fr/revues/fr/2008-v20-n2-fr2310/018352ar.pdf
⬪7. https://en.wikipedia.org/wiki/Gate_control_theory
⬪8. https://www.em-consulte.com/article/1120851/article/la-musicotherapie-un-soin-d-avenir-contre-la-doule
⬪9. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1624568710001289
⬪10. https://www.em-consulte.com/article/1213037/article/la-musique-pour-adoucir-douleur%C2%A0et-signes-fonction
⬪11. https://www.em-consulte.com/article/81987/article/effets-de-la-musicotherapie-sur-les-douleurs-rhuma
⬪12. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1550830723002318
⬪13. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0168605405000425