Les magistrats et experts spécialisés en matière de responsabilité médicale se heurtent fréquemment au problème de l’existence du lien de causalité entre la faute médicale et le dommage. Quel que soit pour le juge le désir d’indemniser un dommage, il ne peut le faire s’il y a un doute sur la réalité de ce lien.
La preuve du lien de causalité est d’autant plus délicate que la cause d’un dommage est souvent multifactorielle.
Un examen sommaire du patient, un suivi insuffisant, une infiltration en dépit de contre indications, ou encore des prescriptions inadaptées peuvent avoir joué un rôle dans la survenance du dommage.
En principe une telle preuve devrait reposer sur des données scientifiques. Cependant il ne peut en être ainsi dans bien des cas où les experts, sans pouvoir établir davantage, ont une quasi-certitude d’un lien entre la faute constatée et le dommage dont il est demandé indemnisation.
Une application trop rigoureuse des principes en la matière priverait les victimes d’actes médicaux d’une indemnisation.
Il s’en est suivi un assouplissement des règles de preuve qui ont permis d’admettre un lien dont le caractère scientifique n’était pas clairement établi.
APPLICATION DU PRINCIPE
Dans la plupart des cas la jurisprudence rejette, à défaut de preuve scientifique, toute démarche compassionnelle qui consisterait à admettre un lien de causalité virtuel dans le seul intérêt du patient.
Un lien de causalité de plus en plus compassionnel |
Toutefois la Cour de cassation, consciente des difficultés rencontrées par les experts et les juges pour apporter la preuve d’un rapport entre la faute et le dommage, a assoupli ses exigences en matière de preuve en permettant de se fonder sur des indices.
Ainsi le 14 octobre 2010 la Cour de cassation juge que le lien de causalité peut être présumé. Une patiente était décédée d’une détresse respiratoire.
En dépit d’une incertitude sur l’évolution de la pathologie dont la patiente était atteinte et de l’indétermination de la cause du syndrome de détresse respiratoire aiguë ayant entrainé son décès, la Haute Cour a estimé que ces éléments n’étaient pas de nature à écarter le lien de causalité entre la faute du médecin qui avait retardé sa prise en charge et la perte de chance de survie qui en est résultée (Cassation 14 octobre 2010). Cette décision a un caractère compassionnel plus que scientifique
Elle retient un lien de causalité incertain permettant néanmoins une indemnisation plus fréquente des accidents médicaux.
LE LIEN DE CAUSALITÉ PRÉSUMÉ
Il est permis au juge de présumer l’existence d’un lien de causalité à défaut d’éléments probants.
Le lien de causalité peut être présumé |
Le lien entre la vaccination contre l’hépatite B et l’apparition de scléroses en plaque n’a pu être établi avec certitude en dépit de nombreuses plaintes de victimes. Ainsi en 1999 un homme se fait vacciner contre l’hépatite B. Un an après une sclérose en plaques est diagnostiquée. Il décède et ses ayants droit intentent une action en justice contre le fabriquant du vaccin. Les juges hésitent, voire se contredisent sur l’existence d’un rapport entre le vaccin et la sclérose.
Le tribunal de grande instance de Nanterre fait droit à l’indemnisation en 2009. En 2011 la Cour d’appel de Versailles infirme ce jugement au motif que la preuve de la défectuosité du vaccin n’avait pas été rapportée scientifiquement. La Cour de cassation annule cette décision en 2013. Pour ce faire, elle relève que tant au regard de la situation personnelle du patient que des circonstances particulières résultant notamment du nombre d’injections pratiquées, la Cour d’appel avait écarté des présomptions graves, précises et concordantes sur le caractère défectueux des produits qui
avaient été administrés (Cassation 10 juillet 2013). Il n’est pas en effet interdit juridiquement de se déterminer à partir de présomptions dès lors qu’elles sont sérieuses.
La Cour européenne de justice valide ce type de raisonnement. Par un arrêt du 21 juin 2017 (C.621/15) la Cour de justice européenne (CJUE) a considéré qu’un faisceau d’indices graves et concordants pouvait suffire à prouver le lien de causalité entre un vaccin et le déclenchement d’une maladie. Cette décision favorable aux patients permet aux juges européens de substituer à une preuve scientifique des éléments de fait tels que les antécédents médicaux du patient, la proximité entre le traitement et l’apparition de la
maladie. En revanche dans certaines situations il est inutile de se pencher sur le lien de causalité. En matière de responsabilité de plein droit la recherche d’un lien de causalité est parfaitement inutile.
Ainsi le fabriquant d’un produit défectueux est pleinement responsable des dommages qui peuvent découler de son utilisation. La recherche d’un lien de causalité en matière de responsabilité médicale n’a d’intérêt que si l’indemnisation repose sur une faute ce qui n’est pas le cas dans certaines hypothèses. Un médecin ne peut voir sa responsabilité engagée sans la preuve d’une maladresse ou imprudence
qui lui soit imputable. Cependant les victimes d’actes de soins pourront être indemnisées dans deux hypothèses en l’absence de faute établie.
Ainsi le fait de contracter une infection nosocomiale en établissement hospitalier donnera lieu à réparation sans qu’il soit nécessaire d’établir une faute et un lien de causalité.
En revanche si le patient est infecté notamment à l’occasion d’un geste invasif dans un cabinet de ville il devra prouver que son médecin a commis
une faute en matière d’hygiène et d’asepsie et que cette faute a conduit à la survenue de l’infection nosocomiale.
PLURALITÉ DE LIENS
L’indemnisation du patient sera totale ou partielle en fonction de certains facteurs pouvant être à l’origine du dommage.
Le comportement du malade qui n’a pas respecté les prescriptions ordonnées est susceptible d’entrainer une réduction de l’indemnisation. Le dommage corporel peut avoir aussi pour origine des prédispositions pathologiques (état antérieur) qui dans certains cas exonéreront le médecin ou son assureur de tout ou partie de compensation indemnitaire. L’état déficient du patient peut être antérieur à l’acte de soins ou ne se révéler qu’au moment de l’acte dommageable.
Apparues avant l’acte de soins ces prédispositions pathologiques entraîneront généralement une réduction du droit à réparation (Cassation 28
janvier 2010). Dans cette dernière hypothèse une appréciation sera évaluée entre l’importance du dommage consécutif à l’intervention et ce qui parait relever de l’état antérieur. Arbitrage toujours délicat.
Victime d’un accident de la circulation en 2001, l’intéressé est opéré en 2011 avec une pose de prothèse totale de la hanche gauche. L’expert judiciaire avait estimé que les séquelles étaient imputables à l’état antérieur à hauteur de 75 %.La Cour de cassation annule l’arrêt qui avait adopté ce point de vue. Elle note que le patient souffrait d’une coxarthrose silencieuse existant avant l’accident et devait donc être indemnisé totalement.
Juger de l’incidence d’un état antérieur sur la réalisation d’un dommage est probablement une des questions les plus délicates à apprécier notamment en raison de son caractère évolutif.
CONCLUSION Le dommage et éventuellement la faute médicale sont généralement correctement mis en relief par les experts commis par les tribunaux. En revanche notre expérience permet d’écrire que ces expertises ne sont pas toujours exploitables faute d’avoir justifié le lien entre faute et dommage. |