Depuis le premier vol de Youri Gagarine le 12 avril 1961, la population d’astronautes ne comprend que 557 hommes et 79 femmes qui ont été exposés au vol spatial sur des durées différentes (46 sur une durée cumulée de plus d’un an et 50 % des missions ont eu une durée de 12 jours au mieux) pour des nombres de vols variables (de 1 à 7 vols/sujet) et donc à des niveaux de radiations très variables dans des engins différents.
Enfin, la cohorte des astronautes représente une population sélectionnée sur des critères qui ont évolué et qui reste donc très particulière. Mais depuis 40 ans, la recherche biomédicale spatiale a permis de mieux comprendre les adaptations et altérations induites par le vol spatial sur la santé humaine et elle a également apporté sa pierre à l’édifice de la prise en charge médicale de la sédentarité subie sur Terre. Elle met à profil des hypothèses émises par une recherche préclinique sur des modèles animaux ou cellulaire au travers d’investigations dans des expériences conduites au sol. Chez l’humain, il est possible de les aliter, inclinés de 6° tête en bas (bed-rest) pour mimer un vol spatial ou de les placer dans une membrane étanche dans une baignoire (immersion sèche) pour mimer les effets précoces de la mise en micropesanteur. La modélisation de l’isolement dans les stations polaires permet d’étudier un équipage sélectionné exposé à une contrainte environnementale et une structuration sociale fortes pendant une durée équivalente à celle d’une mission spatiale (Figure 1). Enfin, à ce jour les études précliniques sur l’animal sont conduites en couplant la modélisation de la modification gravitaire avec celle de l’isolement social mais il existe très peu d’études ajoutant les effets des rayonnements ionisants spatiaux.
Cependant, ces nombreuses études réalisées sur Terre permettent de bâtir des hypothèses qui peuvent être testées par la suite sur des modèles biologiques lors de vols spatiaux.
Figure 1. Analogues au sol pour les études médicales afin de mimer les effets physiologiques de l’impesanteur ou microgravité (immersion sèche, bed-rest); de l’isolement en base antartique Concordia ou la gravité partielle lunaire (vol parabolique). L’ensemble de ces moyens est utile pour tester les contremesures sur les effets physiologiques du vol spatial mais aussi pour développer le matériel diagnostic et les instruments et gestes médicaux adaptés pour le vol spatial.
EFFETS DE L’ISOLEMENT
L’isolement est un des paramètres auquel on ne pense pas immédiatement, cependant il est bien présent même si aujourd’hui les équipages dans l’ISS comptent plus de membres que lors des premières missions et qu’ils sont relevés régulièrement. Les conséquences de l’isolement sont sans doute réduites également par les interactions sociales que ces équipages entretiennent à distance avec les personnels au sol ou leurs proches restés sur Terre. Les effets attendus sont d’ordre psychologique mais ils concernent également des paramètres hormonaux et immunitaires, comme les études récentes conduites chez les personnels des stations polaires l’ont montré.
EFFETS DES RADIATIONS
Les effets sur la santé de l'exposition aux rayonnements ionisants terrestres sont bien étudiés et documentés pour un large éventail de types et de doses de rayonnements ionisants, notamment par le suivi des personnes exposées suite à l’utilisation de la bombe atomique, après des catastrophes nucléaires, à des fins professionnelles ou après des traitements thérapeutiques. Il est cependant important de noter que les doses et la nature des particules sont différentes entre ces expositions sur Terre et celles qui sont rencontrées lors d’un vol spatial (le rayonnement spatial est composé d’un bain de radiation principalement γ et d’une pluie de particules comprenant des protons, neutrons et de noyaux à haute charge et à haute énergie). Ces deux types de rayonnement induisent des agressions moléculaires, cellulaires et tissulaires différentes. Enfin les doses de radiations varient en fonction des missions (à cause de la durée des missions et de l’exposition du véhicule aux radiations solaires et de son blindage). Sur ce point, le premier risque auquel on pense est celui concernant les cancers (un document de référence est le rapport des experts de la NASA : https://humanresearchroadmap.nasa.gov/Evidence/reports/cancer.pdf). Il est connu que les effets des radiations comme agent promoteur de cancer dépendent fortement du terrain génétique et de l’âge du sujet (le risque augmente quand l’exposition concerne un sujet jeune) et que les effets-doses des radiations sur les dommages et mécanismes de réparation de l’ADN ne sont pas linéaires en fonction de la dose de radiation. Les études portant sur les effets de l’irradiation des populations japonaises liée à l’exposition de bombes à Hiroshima et Nagasaki ont permis de modéliser la propagation temporelle du risque de cancer en fonction des doses reçues et ainsi de préconiser des valeurs limites d’exposition, dans un contexte spatial, différentes de celles des travailleurs du nucléaire. Ainsi une partie de la recherche dans ce domaine s’évertue à définir des critères de sélection des astronautes basés sur les études portant sur les facteurs de sensibilité/ susceptibilité aux rayonnements conduits en cancérologie ; mais aussi également à caractériser les effets des expositions aux rayonnements spatiaux sur des modèles précliniques exposés dans des centres spécifiques capables, sur Terre, de reproduire ces rayonnements ou lors de vols spatiaux.
Sur Terre, il est également établi que les radiations vont combiner leurs effets biologiques avec d’autres paramètres environnementaux (expositions à diverses molécules, alimentation, …). Il semble que les radiations spatiales de haute énergie soient susceptibles d’induire des dommages dans l’ADN qui soient plus complexes et donc moins réparables par les mécanismes cellulaires que ceux induits par les rayons X ou gamma. Cela induirait la formation d’espèces moléculaires oxydantes qui augmenteraient les dommages cellulaires, conduisant à une instabilité génétique participant à la cancérogenèse. Des études sur les astronautes ont montré une augmentation du nombre d'aberrations chromosomiques dans les lymphocytes. Cependant les études doivent être poursuivies pour mieux comprendre les relations doses/nature des rayonnements et effets induits en fonction des tissus et de facteurs génétiques de résistance ou de susceptibilité aux radiations.
Enfin, une hypothèse propose que les effets des radiations subies pendant un vol spatial pourraient accentuer ou verrouiller les effets induits par la microgravité ou l’impesanteur (Figure 2). Cette hypothèse repose sur une étude qui montre que les altérations induites dans un modèle de microgravité simulée sont moins réversibles quand l’animal est exposé aux radiations. Les effets de cette exposition particulière pourraient à terme entrainer l’altération de la régénérescence tissulaire ou une accélération des processus dégénératifs, de la réponse immunitaire ou des fonctions cognitives et donc affecter la santé et les performances des astronautes sans être directement dû à l’apparition d’un cancer. Pour lutter contre les effets des radiations il est possible de réduire l'exposition aux rayonnements ionisants en protégeant les équipages par des blindages innovants mais aussi par le développement de contremesures limitant les dégâts cellulaires en limitant le stress oxydant pour renforcer les moyens de défense de l’organisme.
Figure 2. Effets possibles du vol spatial sur la santé des astronautes. Il est possible de considérer que les fonctions physiologiques suivent un parcours comprenant 3 phases, leur développement pour atteindre un état stable définissant l’âge adulte de cette fonction puis une phase de sénescence durant laquelle elle décline en efficacité pour s’arrêter à la mort du sujet (pointillés). Les pathologies dégénératives, maladies cardiovasculaires ou cancers entraînent des dégradations plus rapides affectant ainsi la vie/autonomie du sujet (en violet). Le vol spatial induit un incident fonctionnel plus ou moins marqué qui peut se rétablir lors du retour sur Terre pour se dégrader à nouveau également plus ou moins rapidement induisant des altérations de la vie du sujet.
EFFETS DE LA MICROGRAVITÉ OU DE LA MICRO-IMPESANTEUR
Le vivant a été façonné par la présence de la gravité, s’en affranchir lors d’un vol spatial est une contrainte physique importante à laquelle l’organisme va répondre ou s’adapter plus ou moins rapidement et durablement. Le retour sur Terre induira un nouvel état d’adaptation qui ne sera pas un simple retour à une situation précédente puisque les organismes seront marqués par une expérience complexe. L’ensemble des grandes fonctions et systèmes est affecté par la microgravité comme le montrent les études précliniques et examens cliniques des astronautes.
Le premier effet visible de la microgravité est la redistribution des fluides qui se manifeste par un œdème facial, et la réduction du volume sanguin dans les membres inférieurs pouvant conduire lors du retour sur Terre à de l’intolérance orthostatique et de l’arythmie. Pour supporter ces changements de volumes et de pression le système cardiovasculaire adapte ses propriétés contractiles.
La perfusion des organes via la microcirculation n’est pas encore totalement décrite mais il est vraisemblable que ces modifications aient des effets profonds sur l’ensemble des fonctions physiologiques.
Les effets majeurs apparaissant au cours du vol ont des cinétiques très variables. Le premier symptôme ressenti par 70 % des astronautes dans les 3-4 premiers jours du vol est une désorientation vestibulaire. Bien au-delà d’un simple mal des transports, elle pourra altérer l’orientation et la perception spatiale et modifier ces aptitudes comme la précision et la coordination des mouvements. Lié au changement gravitaire, ce symptôme s’exprime également lors du retour sur Terre. De nombreux travaux, revus récemment1, ont permis de proposer que l’exposition à l’impesanteur réduit la stimulation des otolithes et modifie le nombre de cellules ciliées de l’oreille interne et les voies nerveuses cérébelleuses sans doute pour adapter le système nerveux à la nouvelle situation gravitaire. Les altérations proprioceptives mesurées participent aussi aux modifications mesurées dans la précision du mouvement.
Chez certains astronautes, les investigations par IRM ont révélé une expansion ventriculaire, des altérations des espaces périvasculaires et de la substance blanche qui ont été corrélées avec des modifications comportementales. L’utilisation de modèles animaux a confirmé des atteintes comportementales et des modifications de l’expression de gènes.
Des modifications oculaires sont rapportées et confirmées chez 47 % des astronautes ayant passé 6 mois dans l’ISS mais aussi chez les équipages des fusées sur des durées courtes. Ce syndrome neuro-oculaire associé au vol spatial (SANS en anglais) comprend des altérations anatomiques pouvant induire des altérations visuelles qui associées aux perturbations vestibulaires pourront diminuer les performances et l’habileté des astronautes2.
La perte de densité minérale osseuse (environ 1% par mois de vol au niveau de la colonne vertébrale et du col du fémur), corrélée à l‘augmentation de la résorption osseuse, induit une fragilité osseuse sur les axes porteurs du squelette et elle n’est pas entièrement récupérée après le vol. Même si les mécanismes diffèrent on rapproche ces altérations liées à la microgravité à l’ostéoporose. S’ajoutent une altération des tissus cartilagineux tels que les disques intervertébraux ou du tibia et une perte d’élasticité des tendons qui ont été principalement étudiées dans les simulations chez l’humain et le rongeur. Il est essentiel de les prendre en compte en particulier pour le retour sur Terre lorsque la charge gravitaire reprendra3.
Masse, force et endurance musculaires sont réduites en microgravité en particulier dans les muscles de la posture. L’atrophie est mesurable après quelques jours en microgravité et d’une réduction de la régénération cellulaire. Une forte augmentation du stress oxydant et une diminution du renouvellement des protéines couplées aux mécanismes de l’adaptation musculaire à la baisse d’activité sont les causes les mieux décrites pour expliquer ce symptôme sarcopénique4. De façon moins directement symptomatique à ce jour, la qualité des réponses immunitaires pourrait être impactée par le vol spatial via deux voies différentes, d’une part l’ensemble des composantes cellulaires de la réponse immunitaire est modifié au point de modifier le répertoire d’anticorps produit lors d’une immunisation mais aussi par les modifications induites par l’environnement spatial sur les agents pathogènes (virus, bactéries…). Environ 50 % des astronautes présentent un système immunitaire affecté en particulier par des changements dans la lymphopoïèse B s’apparentant ici aussi à un vieillissement accéléré5.
Pour définir un mécanisme commun à l’ensemble des altérations mesurées (Figure 3), les recherches récentes conduisent à deux hypothèses d’une part la réduction des capacités de régénération cellulaire par la compilation des données des analyses tissulaires et d’autre part une atteinte des fonctions mitochondriales par des analyses de l’expression des gènes et des protéines dans tous les échantillons prélevés sur les sujets humains et modèles animaux6.
Figure 3. Altérations cellulaires induites par l’environnement spatial. Les radiations altèrent les fonctions mitochondriales, induisent des dommages à l’ADN plus ou moins bien réparés. Le changement gravitaire modifie les fonctions mitochondriales, la régénération cellulaire, la mécano transduction, l’organisation du cytosquelette et l’expression de récepteurs et de protéines de signalisation intracellulaire.
CONCLUSION Le suivi de la santé des astronautes est bien sûr indispensable pour assurer le bien-être de cette population très particulière mais il apporte également des connaissances importantes pour comprendre l’adaptation de l’humain à des conditions de vie extrêmes, permet des développements instrumentaux pour des outils de diagnostic et permet d’améliorer la prise en charge des patients dont l’activité est fortement diminuée au travers des propositions de contremesures aux effets du vol spatial. Il faut accroître nos connaissances sur les effets en fonction de la durée de vol, suivre les équipages en développant les études chez les femmes et cela tout au long de leur vie après leur retour sur Terre tout en standardisant les mesures afin de définir les temps de récupération et définir les contremesures les plus efficaces par l’interdisciplinarité des expertises scientifiques et médicales. Une analyse du métabolisme global dont celui du calcium reste un axe recherche en médecine spatiale pour mieux comprendre les risques accrus de calculs rénaux et de calcification vasculaire en lien avec la déminéralisation osseuse. Enfin des cellules osseuses aux cellules ciliées de l’oreille interne la mécano transduction du signal gravitaire pourrait stimuler afin d’adapter rapidement les mécanismes cellulaires et moléculaires à la microgravité. Connaître précisément les altérations de chaque astronaute est aujourd’hui un objectif pour proposer une contremesure personnalisée pour lui permettre une santé la meilleure possible pendant et après le vol mais aussi garantir ses performances durant toute la durée de la mission. ■ |
RÉFÉRENCES
◆1. Carriot J, Mackrous I, Cullen KE. Challenges to the Vestibular System in Space: How the Brain Responds and Adapts to Microgravity. Frontiers in Neural Circuits.2021;15:127.◆2. Seidler RD, Stern C, Basner M, Stahn AC, Wuyts FL, zu Eulenburg P. Future research directions to identify risks and mitigation strategies forneurostructural, ocular, and behavioral changes induced by human spaceflight: A NASA-ESA expert group consensus report. Frontiers in Neural Circuits [Internet].
2022[cité 3 nov 2022];16.Disponiblesur:https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fncir.2022.876789.◆3. Vico L, Hargens A. Skeletal changes during and after spaceflight. Nat Rev Rheumatol. 21 mars 2018;14(4):229‑45. ◆4. Bonanni R, Cariati I, Marini M, Tarantino U, Tancredi V. Microgravity and Musculoskeletal Health: What StrategiesShould Be Used for a Great Challenge? Life. juill 2023;13(7):1423. ◆5. Fonte C, Jacob P, Vanet A, Ghislin S, Frippiat JP. Hindlimb unloading, a physiological model of microgravity, modifies the murine bone marrow IgM repertoire in a similar manner as aging but less strongly. Immun Ageing. 20 nov 2023;20(1):64. ◆6. da Silveira WA,Fazelinia H, Rosenthal SB, Laiakis EC, Kim MS, Meydan C, et al. Comprehensive Multi-omics Analysis Reveals Mitochondrial Stress as a Central Biological Hub for Spaceflight Impact. Cell. 25 nov 2020;183(5):1185-1201.e20.
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt. |